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Penser le monde d’après, c’est le penser pour – et avec ! – celles et ceux qui viennent d’y arriver : imaginons d’autres façons d’apprendre, d’autres façons de grandir, d’autres façons de s’éveiller…

Texte – Philippe Meirieu

Illustration – Louis Thomas

Et si « apprendre » devenait, finalement, plus important que « savoir » ? Si l’on découvrait, enfin, que la certitude de savoir était le piège majeur de la pensée, la branche où l’on s’accroche désespérément quand on a renoncé à explorer le monde, l’ornière où l’on piétine quand on a choisi d’écraser les autres plutôt que de chercher la vérité avec eux ? Si l’on cessait de transformer nos connaissances en marchandises pour qu’elles soient payées en notes, diplômes et privilèges ? Si nous savions mutualiser les compétences que nous avons acquises au lieu de nous en revendiquer les propriétaires exclusifs ?

Alors, peut-être, Mériem et José n’iraient-ils plus à l’école comme on va faire ses courses dans un supermarché, en se demandant comment payer le moins possible pour le meilleur résultat possible : le monde ne serait plus, pour eux, un magasin offert à leurs caprices mais un univers fabuleux où partir à l’aventure du « comprendre ». Et puis, sans doute, Nolan et Zoé ne croiraient plus que les tâches scolaires ne sont que des épreuves imposées dans un parcours du combattant à l’issue incertaine : ils y verraient des occasions d’exercer leur curiosité, de chercher, d’inventer, de construire, de progresser en rectifiant leurs erreurs et de devenir toujours plus exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes. Quant à Emma et Kévin, ils chercheraient sans cesse les occasions d’échanges et d’entraide, attentifs à faire bénéficier leurs camarades de ce qu’ils ont compris et à profiter de leurs conseils.

C’est que l’école aurait changé. On n’y organiserait plus les classes en regroupant des élèves de même âge, censés être de même niveau, et assignés à faire la même chose en même temps : on ferait de l’hétérogénéité assumée une richesse au service de la coopération. On n’attendrait plus que les enfants se mobilisent sur les savoirs, mais on susciterait leur engagement à partir de ce qu’ils sont et savent, afin qu’ils se dépassent et, grâce à l’accompagnement rigoureux de leurs maîtres, accèdent aux savoirs les plus élaborés. On ne présenterait plus les connaissances à acquérir comme des obligations programmatiques, mais comme des réponses fabuleuses aux questions que les humains se sont posées tout au long de leur histoire. On serait attentif au cheminement de chacune et chacun, tout en construisant, pierre par pierre, du « commun » : des projets communs, des savoirs communs, des valeurs communes. On n’évaluerait plus les acquisitions de manière ponctuelle et « bancaire », mais en proposant à toutes et tous de réaliser des « chefs-d’œuvre », construits au long cours, mobilisant plusieurs disciplines et présentés au groupe comme de véritables cadeaux réciproques. Bref, contre l’enkystement dans les certitudes mortifères, on ferait de l’école le lieu de la recherche et de la découverte, de l’accès de toutes et tous au plaisir d’apprendre et à la joie de comprendre.

Mais, en réalité, c’est que toute l’organisation sociale aurait été changée. On donnerait, enfin, « plus » et surtout « mieux », à ceux qui ont moins pour qu’ils puissent vivre dignement et accéder aux biens communs. Et puis, on aurait découvert que le bonheur ne se trouve pas dans la consommation effrénée de l’épuisable, mais, tout au long de la vie, dans le partage serein de l’inépuisable : les œuvres d’art et de culture, les connaissances et les savoir-faire, l’imagination et la création au service du bien-être de toutes et tous… ces biens essentiels auxquels on peut accéder sans en priver personne et que chacune et chacun peut partager à l’infini avec autrui.

Louis Thomas est illustrateur et réalisateur. Il est diplômé de l’école des Gobelins à Paris et de CalArts à Los Angeles. Après un an au sein de studios d’animation californiens, il s’installe en France. Ses clients récents incluent Pixar, Cartoon Network, Laika, L’École des loisirs, Bayard…

Philippe Meirieu est professeur émérite des universités et chercheur en pédagogie. Spécialiste de l’histoire des doctrines pédagogiques, il a exercé, à plusieurs reprises, des responsabilités dans le système scolaire. Il a aussi été vice-président de la Région Rhône-Alpes, délégué à la formation tout au long de la vie (EELV). 

www.meirieu.com

Pistes d’actions proposées par Alternatiba

  • Je participe à des « marchés de connaissances » (ou je les organise quand ils n’existent pas) dans lesquels on échange gratuitement des savoirs et savoir-faire… dans ma famille, dans mon immeuble, dans mon quartier ou grâce au numérique contributif. Je peux m’appuyer sur le Réseau d’échanges réciproques de savoirs www.rers-asso.org
  • Si je suis parent, je m’engage dans une association de parents d’élève. Si je suis enseignant, dans un mouvement pédagogique au sein duquel je peux mettre en commun mes ressources et trouvailles.
  • Je mets en place, autour de moi, l’entraide systématique sans hiérarchisation des compétences.