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La crise du coronavirus a mis en lumière le rôle des soignant·es, des aidant·es, des vendeur·ses, des nettoyeur·ses – femmes pour la plupart. Imaginons que les salaires et la valorisation sociale ne soient plus indexés sur le prestige de la fonction, mais sur son utilité sociale et écologique réelle…

Texte – Mounia El Kotni

Illustration – Chloé de Crépy

Et si nous prenions enfin soin de celles qui font tenir la société ? Une des choses que cette crise sanitaire a mises en évidence est l’inadéquation de notre échelle de valeurs – et donc de salaires – avec les besoins de nos modes de vie. Parce que ce sont celles et ceux qui sont le moins rémunéré·es et exercent les métiers les moins valorisés, qui sont considéré·es comme indispensables en ce moment : caissières, infirmières, aides-soignantes, femmes de ménage, éboueur·ses, instituteur·rices… Dans leur grande majorité, ces métiers sont exercés par des femmes. Des femmes à la situation précaire – parce que les métiers du care (prendre soin des autres, physiquement et émotionnellement) n’ont pas de valeur ajoutée dans le système capitaliste, où le soin, considéré comme intrinsèquement féminin, est relégué dans la sphère du travail gratuit, invisible, naturalisé. Des femmes souvent issues de l’immigration postcoloniale et/ou vivant dans des quartiers populaires – parce que la stratification sociale a une couleur.

Ces travailleuses du care sont aussi, en tant que femmes, celles qui effectuent la majorité du travail dans le foyer, encore plus lorsque le foyer inclut des enfants (1). Celles qui sont exposées à des violences au sein du foyer, qui ont augmenté de plus du tiers depuis le début du confinement (2). Comment alors prendre soin de soi, qui passe toujours après le soin des autres ? Peut-être en faisant en sorte que les conditions de travail soient dignes – avec du matériel et des effectifs en nombre suffisant – en revoyant largement les grilles salariales, en maintenant l’extension des droits à disposer de nos corps au-delà de la période actuelle, par exemple (3).

Et si au niveau individuel, nous nous soutenions vraiment les un·es les autres ? En agissant pour que les applaudissements de 20h n’en restent pas là, et se transforment en slogans dans des manifestations, en actions face aux discriminations du quotidien, en une attention accrue aux indices de violences familiales dans notre entourage ou voisinage…

Prendre soin de toutes, c’est aussi faire en sorte que nous vivions dans un environnement sain, avec moins de pollution industrielle, d’épandage de pesticides. Avec accès à des espaces verts pour nous reposer, nous et nos proches, avec une alimentation saine dont on connaît l’origine, avec la possibilité d’avoir accès à des soins quand nous en avons besoin. Ne pas vivre dans la peur, pour nous ou nos proches, de discriminations et de violences, de la part de nos conjoints ou d’inconnus, ou de l’État censé nous protéger.

Et si l’État ne peut pas garantir nos droits, en tant que femmes, travailleuses, citoyennes, nous pouvons aussi nous auto-organiser, comme c’est déjà le cas au sein de collectifs d’associations, de réseaux. La sororité et l’adelphité ne peuvent pas s’arrêter aux frontières de classe. Celles d’entre nous qui ont des privilèges, de par le milieu dans lequel elles ont grandi, leurs études, peuvent les mettre au service des autres, pour visibiliser les luttes. Nous pouvons aller manifester, participer à des cagnottes de grève, et faire résonner de toutes les façons possibles les revendications de celles en première ligne, pour un avenir plus juste et généreux.

  1. https://www.inegalites.fr/L-inegale-repartition-des-taches-domestiques-entre-les-femmes-et-les-hommes
  2. https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/30/hausse-des-violences-conjugales-pendant-le-confinement_6034897_3224.html
  3.  Le délai pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse a été étendu de 7 à 9 semaines d’aménorrhée par l’arrêté du 14 avril 2020.

Formée en autodidacte, Chloé de Crépy travaille dans le cinéma d’animation en tant qu’animatrice 2D.

instagram.com/clowelle

Mounia El Kotni est chercheuse en anthropologie, postdoctorante à l’EHESS Paris. Elle travaille sur la médicalisation de la santé reproductive et les violences obstétricales ainsi que sur les mobilisations de femmes en lien avec la contamination environnementale au Mexique. 

www.mouniaelkotni.com

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