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Quand l’humain cessera de se penser détaché du reste de la « nature » et qu’il fera la paix avec ce qui l’entoure, ne se rapprochera-t-il pas de l’essentiel ? Imaginons que l’on arrête de vouloir dompter le temps et qu’on le laisse filer sans culpabilité pour s’adonner à la contemplation…

Texte – Corinne Morel Darleux

Illustration – Alessandro Pignocchi

Et si on s’affranchissait un instant de nos représentations du monde, des certitudes carcérales de la technologie et du gris de nos paysages urbains pour décadrer nos projections et s’évader un peu ? Et si, pour vous rincer le regard, je vous emmenais vers mes confins imaginaires… 

J’habite une oasis, seul refuge au milieu d’une steppe aride, parcourue par des incendies imprévisibles, où les rares humains sont condamnés à fuir et survivre en cherchant la pluie. Dans l’Oasis, une douce moiteur nous protège des incendies. L’air est animé du bruissement des toucans et de la course des margays dans les arbres à kapok. Les fins de journée sont enveloppées du parfum entêtant des frangipaniers et du murmure du ruisseau coulant paisiblement à l’ombre des bananiers… 

Sur les rives du lac, nous fabriquons le matin des nattes en bambou, des briques et des poteries d’argile. Nous cuisinons chez les habitants selon un système tournant et manions les fleurs d’hibiscus pour soigner toux et angines au chevet des patients. Au jardin, près de la rivière, les plus jeunes apprennent à ouvrir les petites tomates vertes du bush pour en retirer les graines noires, toxiques et les remettre en terre. 

Chaque enseignement est mis en pratique directement, au plus près des usages, guidé par les « mères savantes ». Choisies pour leur sagacité, leur bienveillance et leur fermeté, ce sont, à quelques exceptions près, des femmes âgées. Toutes sont porteuses de connaissances affûtées dans des disciplines variées, techniques, botaniques, médicales ou rituelles. Leur fonction principale est de conserver la mémoire et de transmettre les savoirs. Nous apprenons en faisant. Quand il y a besoin de refaire le sol d’une hutte, une troupe débarque et se met à l’ouvrage. Les enseignements de botanique, pour apprendre à reconnaître les plantes qui soignent, les herbes qui tuent et les feuilles qui se mangent, se déroulent en forêt. C’est généralement l’occasion aussi de s’entraîner à reconnaître et imiter les cris d’alerte ou le chant de reproduction des oiseaux, d’apprendre à grimper aux arbres, en enlaçant le tronc ou en escaladant les branches. 

Un anacardier très haut sert de plateforme aux enfants : une fois en haut, par petits groupes, ils révisent leur vocabulaire des paysages. Je me joins parfois à eux. De là, nous devons nommer les différentes teintes du ciel, les variations de relief dans la steppe, la couleur et l’aspect des collines ou de la plaine, caractériser les déplacements furtifs d’habitants du désert que nous distinguons à peine, qualifier les sons qui se répercutent dans l’Oasis, distinguer par le verbe les différents arbres, la forme et les nuances de leurs feuillages, le parfum de leurs fleurs et le goût des fruits, l’intensité des ombres et des reflets changeants sur la surface du lac. À l’horizon, nous apercevons parfois des tumulus de pluie ou des tourbillons de cendre, la lueur orange de l’incendie ou les éclairs aveuglants des orages de foudre. Et nous passons ainsi des heures à reconnaître et nommer le monde autour de nous.

Alessandro Pignocchi est à la fois chercheur, essayiste et auteur de bandes dessinées à l’aquarelle. Il est notamment l’auteur du Petit Traité d’écologie sauvage et de La Cosmologie du futur.

Corinne Morel Darleux est écrivaine, militante écosocialiste et conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes. Installée au pied du Vercors, elle appelle à l’archipélisation des îlots de résistance et développe les notions de refus de parvenir et de dignité du présent dans un essai, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, paru en 2019 aux éditions Libertalia.

Pistes d’actions proposées par Alternatiba

  • Je me reconnecte avec la nature en me baladant, en randonnant, en jardinant
  • Je participe au comptage des oiseaux près de chez moi avec la LPO et l’initiative OiseauxDesJardins.fr