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Sobriété ne rime pas avec morosité : au contraire, imaginons que la transformation de nos territoires ait permis de recréer du lien avec nos voisin·es, de remplacer la place occupée par la voiture par des terrasses de café et des lieux de convivialité, que le réaménagement et la répartition du temps de travail aient dégagé du temps libre pour faire la fête, rêver, créer, jouer, partager, ou encore qu’une politique volontariste ait fait de la culture un bien commun accessible à tou·tes…

Texte – Alice des Ogres de Barback

Illustration – Eva Roussel

Et si la culture n’était plus une marchandise mais un vecteur de lien social, de rapprochement des êtres, une barrière à l’isolement et au renfermement sur soi ? Le monde d’après pourrait ressembler à une grande fête de village, où l’on rencontre son voisin, si différent soit-il, où l’on découvre son quartier sous une forme nouvelle, où l’on se découvre soi-même, et on se prendrait tous pour des funambules…

Et si les artistes n’étaient plus ces stars inaccessibles que l’on voit tous les soirs à la télé, que l’on imagine confinées dans leurs châteaux en Espagne (la culture avec un faux C) ? Mais juste des citoyens, circassiens, comédiens, danseurs, musiciens… que l’on croiserait partout, qui nous aideraient à « oser  jouer » et « oser rire », « oser être heureux ou malheureux » et « oser réfléchir », « oser lâcher prise ». N’importe quand, n’importe où, la rue serait la scène, l’espace public le serait vraiment.

Ces deux derniers mois, entre deux infos sur le virus, sur le manque de masques ou sur les éventuels futurs vaccins, nous avons entendu parler d’une minorité non-visible, précaire et surtout « non essentielle » à la vie ou à la survie en période de confinement : le monde du spectacle vivant.

Nous, les « intermitteux » du spectacle avons subi une humiliation, un mépris, de la part de notre ministre de la Culture en personne. En même temps qu’il pleurait sur les gros festivals qui ne pourraient pas raisonnablement avoir lieu, il autorisait les « petits festivals ruraux », qui réunissent cinquante personnes, à un mètre les uns des autres, avec un seul musicien sur scène et des masques sur tous les visages. Ces petits festivals n’existent pas. Il a démontré sa méconnaissance de ce qui fait justement la richesse de notre pays…

Que fait-il des autres, les milliers d’événements que nous avons justement la chance d’avoir ? Ces moments magiques qui illuminent nos villes, nos villages, font rêver des dizaines de milliers de spectateurs, tous les jours de l’année, sur tous les territoires. Ceux qui rassemblent les jeunes, les vieux, les riches et les pauvres. Il n’y a pas d’un côté les Francofolies et de l’autre « la fête aux péquenots du coin » ! Il y a la vie, qui grouille et que nous avons à la chance d’avoir par kilos.

Ces fameux intermittents font que ce rêve est possible.

Dans le monde d’après, la ministre de la Culture (car, oui, une femme ce serait bien, dans ce milieu qui brille par leur sous-représentation) sera choisie sur quelques critères très particuliers. Elle devra avoir :

  • fait la vaisselle en arrière-cuisine d’un festival de village
  • fait la « bénévole au parking » d’un événement organisé par les jeunes du quartier
  • joué de la basse lors du concert de la scène ouverte de l’école de musique
  • collé des affiches sur les murs de la ville, en se demandant si les gens vont venir assez nombreux pour rentrer dans ses frais et recommencer l’année suivante.

Elle devra aussi connaître par cœur trois chansons de groupes qui ne passent jamais à la radio (mais qui font le plein en concert). D’ailleurs ce ne seront plus les radios qui nous diront quoi écouter, mais le contraire.

Le monde d’après relocalisera la culture, et chaque humain aura le droit à son bout de théâtre près de chez lui, à son lieu de rencontre, à son air de guitare, à son bol d’air accessible (en vélo), à son évasion.

Et si un bar associatif était LA culture ? Et si la convivialité était LA culture ? Et si la lecture d’un conte, au fond d’une classe d’école, était LA culture ? La culture avec un vrai C.

Dans le monde d’après, la culture ne sera plus dirigée par des bureaucrates qui comptent (« chez ces gens-là, monsieur, on ne vit pas… on compte ! »), mais par ceux qui content, les doux rêveurs pleins d’espoirs en l’humanité, motivés, pressés de faire partager leurs passions, leurs frissons, leurs rêves.

Eva Roussel est illustratrice et autrice de bande dessinée. Elle a fait ses études en FCIL illustration à Corvisart, à Paris, ainsi qu’en communication visuelle. Elle travaille pour la presse et l’édition jeunesse (Milan, Talents hauts, GulfStream…) et fait également de la bande dessinée jeunesse et adulte. Elle est notamment la dessinatrice de la BD Tout va bien, enfin ça va aller, écrite par Bruno Isnardon, aux éditions La Relève et la Peste.

evaroussel.blogspot.com

Avec ses deux frères et sa sœur, Alice compose le groupe Les Ogres de Barback, qui défend depuis plus de 25 ans sa conception d’une chanson française ouverte sur le monde. Hors des sentiers balisés et médiatiques, ces artistes « concernés » ont imposé leur façon de fonctionner en complète indépendance, avec le soutien du public.
(photo par David Desreumaux)

lesogres.com

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